Binary Audio Misfits

Cela commença donc comme une belle histoire myspacienne. Expérience (groupe fondé en 2000 sur les cendres de Diabologum, qui mêle Rock, Hip Hop, samples inattendus et voix mi-scandées, mi-chantées) s’est mis en tête de renforcer son univers. Friands de sonorités Hip Hop qui ne trichent pas (collaborations avec Arm de Psykick Lyrikah ou La Caution par le passé) les EXP ont fouiné, arpenté les dédales de Myspace avec l’unique envie de voir leurs acquis se carapater, histoire de se remettre en danger, une fois de plus.
Aventureux, les Expérience se sont toujours trouvé à califourchon : brûler l’héritage de cette culture alternative cliente de sa propre rébellion, ou au contraire assumer leur statut de groupe noisy lettré. Après une multitude de clics sur la toile, ils ont été séduits par The Word Association, des MC’s texans ayant bien révisé les leçons des 90’S : une époque où il suffisait d’un micro pour se faire entendre, où il suffisait d’une platine et d’une culture musicale pour habiller ses histoires, tout en étant bien dans leur siècle, où le Hip-Hop n’est plus replié sur lui-même mais au contraire ouvert à tout métissage improbable. Pour trouver les références de ce collectif, autant tout de suite aller piocher chez les labels Def Jux ou Rhymesayers, garants d’un Hip Hop indépendant contemporain, qui sans oublier ses racines regarde devant et plutôt loin devant.
Le résultat dépasse le cadre du flirt. Un projet concret naît : Binary Audio Misfits, tentative audacieuse d’allier ces deux approches musicales. On ne peut cataloguer pour autant ce processus d’échange comme un parcours de hasard heureux. Le hasard n’est souvent là que pour livrer une excuse aux feignants. Dans un premier temps virtuel, les échanges de fichiers furent fiévreux. Texas-Toulouse, une aridité du sud, une histoire en parallèle qui nourrit un dogme clair : « pas de superflu » . Les premiers tests sont vite concluants : le flow des texans se confronte à la plume, aux beats lourds et aux guitares incisives des français, les deux langues n’étant qu’une des multiples possibilités pour faire sonner ce mélange atypique anormalement évident.
Les groupes se rencontrent “physiquement” au Texas en décembre 2007, alors qu’Expérience est aux Etats-Unis pour enregistrer son quatrième disque. Le courant passe et ils décident de pousser jusqu’à l’album cette récréation sérieuse. Les échanges de fichiers s’intensifient (merci yousendit) jusqu’à fin 2008. C’est alors que la machine s’emballe : sortie d’un premier EP “Brain Drain Generation”, présentation au festival itinérant Génériq suite à une invitation/résidence à la Cartonnerie de Reims comme support du projet Vortex : Nous sommes partout (carte blanche laissée à Michel Cloup d’EXP). Après le virtuel, nous voici bien dans le réel. Les deux formations découvrent qu’ils ont aussi autre chose en commun : une énergie scénique sauvage.
Précédés d’une réputation flatteuse suite à cette tournée en 2009 d’une quinzaine de dates (France, Canada et USA dont le fameux South By South West d’Austin), la magie des B.A.M fonctionne à l’identique sur ce premier disque bâtard, qui aura sa place dans votre discographie entre “Check your head” des Beastie Boys et “Orange” du Blues Explosion, non loin d’un Cannibal Ox ou d’un Dälek.

Au-delà du concept transcontinental, il ne ressort que l’évidence de ce premier album pourtant sinueux et foisonnant. Des nappes sonores électroniques, passant de l’IDM aux beats sombres et apocalyptiques, des guitares tantôt mélodiques, tantôt déviantes, du groove aussi bien old school que décalé, surélevés par la précision des flows des 3 Mc’s (Jaysin, Muggzy Flowz et Omari Kamau), rarement le Hip Hop aura fait autant de place aux velléités rebelles du rock à tendance bruitiste, rarement la contestation aura séduit avec tant de tact la poésie. La rage contenue des EXP se fait chahuter par le trop plein de jeunesse des Américains.

Le projet Binary Audio Misfits est un sabotage aux antipodes du Néo-Métal et de la fusion classique Rock / Hip Hop. Les B.A.M prônent la cohabitation avant tout. « J’ai l’impression que les derniers visionnaires sont tous auteurs de science-fiction » nous claque-t-on en plein milieu d’album. La formule résume bien le sentiment né à l’écoute de ce disque. La fusion est trop évidente pour oser parler de fusion. “I want to believe” fut le mantra de la fin des années 90, “nous y croyons encore” pourrait être celui des années 2000.

Jocelyn Borde

Jaysin : Voix.
Muggzy : Voix.
Omari Kamau : Voix.
Michel Cloup : Guitare, voix, programmations.
Francis Esteves : Programmation, basse, voix.
Patrice Cartier : Batterie & pads.
Chief & Dj Viktor: Dj’s.

Discographie